dimanche 6 septembre 2015

Drive


Drive
2011
Nicolas Winding Refn
Avec: Ryan Gosling

Comme la cavalerie, j'arrive quatre ans après la bataille sur ce film. Vous vous en souvenez peut-être, il y avait comme un bourdonnement à l'époque de sa sortie, c'était le genre de film dont on nous dit "C'est bizarre comme film, mais franchement, c'est pas mal", que l'on traduit en général par: "Le réalisateur a embrassé un certain nombre de partis-pris esthétiques pas très mainstream, mais il a quand même mis une bonne dose de violence ou de sexe pour qu'on trouve ça bien". Normalement, j'attends quatre ans avant de me décider à regarder ce type de film, et parfois, comme dans le cas présent, la distance temporelle permet d'apprécier rétrospectivement certaines évolutions du quotidien. 
Notamment, je comprends mieux aujourd'hui pourquoi certains conducteurs de Golf démarrent pied au plancher au feu vert, avec un flegme insupportable, pour se rabattre comme des merdes à 70 km/h sur la file de droite de la rocade, après avoir séché ma Clio 1.2 RTE sur place. Rebelote au péage de l'autoroute A83, dès la barrière levée ils accélèrent le plus rapidement possible, tout en mâchouillant quelque chose d'indéfinissable, avant d'être brutalement rappelés à l'ordre par leur limiteur de vitesse calé à 138 km/h, 4 km/h au dessus de la limite pour compenser l'imprécision de leur compteur, auxquels ils ajoutent 4 km/h pour prendre en compte les 5 km/h de l'incertitude des radars de la Gendarmerie. Le lecteur toujours attentif à ce stade notera que ces conducteurs de Golf pourraient donc régler leur limiteur à 139 km/h, mais, rebelles sans l'être vraiment, ils se gardent une marge de confort pour pouvoir écouter tranquillement "You're a real hero" sur leur autoradio de marque JVC, le regard mutique mais les gestes précis.
Je ne peux pas dire précisément si j'ai aimé le film ou pas. Le héros, quoique ténébreux à la mode spaghetti, manque de carrure et de crédibilité. Son attitude taciturne semble plus liée à une anomalie chromosomique qu'à une réelle prise de hauteur sur le monde réel. L’héroïne nous fait des petits regards meugnons, elle a une coupe moderne et elle est sexy sans être trop sexe, belle tout en restant girl next door, pour que tout héros réel normalement constitué ait envie de se la culbuter au ralenti sur la table de la cuisine tout en voulant la protéger pour toujours de ces méchants mafiosi issus du cinéma américain des années 70. Notre héros se sent protecteur, mais sans raison identifiée autre que l'anomalie chromosomique précédemment sus-citée, il ne baise pas, sauf si j'ai loupé la scène de sexe au moment où je suis allé me chercher un yaourt dans le frigo. En tout cas, c'est décevant, pas que je sois friand des habituelles scènes de sexe que le cinéma hollywoodien nous ressort ad nauseam, mais je me disais que dans ce film peut être, on pourrait avoir un début de scène intéressante. Mais non, pas de sexe, c'est sale et ce n'est pas bien. Montrer un mec qui plante une fourchette dans la gueule d'un type comme dans les Affranchis, ça ne pose pas de problème. Montrer un gars qui coupe une artère d'un autre gars en le rassurant pendant qu'il meurt, c'est pas grave. Montrer le héros qui pulvérise le crâne d'un méchant dans un ascenseur, ça ne gêne aucun censeur! Mais montrer un bout de téton dans un film, c'est tout simplement impensable! Mais ça, on a tellement l'habitude, cette hypocrisie versus cette violence acharnée, qu'on finit par ne plus faire attention. 
La scène de l’ascenseur, c'est une des presque belles scènes du film. Le héros descend au sous-sol avec sa girl next door. Il y a aussi un méchant dans l'ascenseur. Notre héros prend le temps de longuement embrasser la fille. Le mec le laisse faire. J'ai trouvé ça génial, quelque soit l'interprétation que l'on donne au truc. On peut y voir une invraisemblance assumée, une ellipse temporelle pendant laquelle le héros crie "pouce", on peut y voir un méchant qui aurait le sens de l'honneur, quelque chose qu'on ne voit plus au cinéma, comme le général Santa Anna qui laisse partir femmes et enfants de fort Alamo, sans massacrer, ni violer, ni empaler, ni écorcher personne. Cette bonté d'âme est devenue impossible chez un méchant aujourd'hui. Hitchcock a déclaré un jour qu'il n'y avait pas de film réussi sans méchant réussi. Il aurait mieux fait de se taire, parce que tout le monde a cru que cela voulait dire un méchant vraiment méchant, forcément inhumain. Dans GoT (si vous ne savez pas ce que j'entends par GoT, vous venez d'une autre planète), Sansa passe d'un mari cruel et totalement barge à un autre mari cruel et totalement barge. La liste des horreurs qu'ils font subir aux autres, leur absence totale de pitié envers quiconque, en font des personnages creux, vides de substance, qui terrifient le spectateur de façon mécanique, comme un banal sursaut dans un film d'horreur. Totalement étranger à un Liberty Valance ou à un Frank, le méchant actuel est forcément psychopathe, de la trempe d'un John Doe ou d'un Anton Chigurh, fêlé mais sans âme, sans une once de conscience, toujours dans la surenchère, faisant passer Hans Gruber, Dark Vador et Roy Batty pour des petits caïds de quartier. 
J'ai cru que c'était le contraire le méchant dans l'ascenseur de Drive, j'ai cru qu'il laissait le temps au héros d'embrasser sa nana avant de lui faire la peau, j'ai cru qu'il lui accordait sa dernière requête de condamné, comme un méchant qui aurait du respect pour son adversaire, un méchant qui respecterait un certain code d'honneur, un méchant pas 100% méchant quoi, mais ça, ça n'intéresse plus personne. Aujourd'hui, le méchant ne doit respecter aucune trêve, décapiter les émissaires, trahir ses promesses, brûler le drapeau blanc, tuer pour le plaisir et torturer dès qu'il s'ennuie, parce que brrr, le méchant doit être très très méchant, et à force d'être très très méchant, il en devient complètement raté. 
En l’occurrence, dans cette scène de l'ascenseur, cette interprétation ne tient pas, le regard étonné qu'il jette au héros avant que celui-ci lui marave la gueule nous indique qu'il est juste con et qu'il n'avait pas remarqué que le héros l'avait repéré. Et c'est au tour de notre héros de devenir très très méchant. Il ne lui fout pas juste un pain pour pouvoir le ligoter et le laisser dans un placard, non, il lui défonce vraiment la tronche à coup de pied, jusqu'à ce que, je présume, la gueule du type soit réduite en bouillie. Il frappe à n'en plus finir, il frappe tellement fort qu'à un moment il y a un bout de truc qui saute, un bout d'os, pas une dent, plutôt une mandibule ou un bout d'arcade sourcilière, on ne peut pas savoir, mais on comprend à ce moment que le type est perdu, le héros lui a aplati la boite crânienne comme une vulgaire boîte d’œufs. Ce bout de mandibule qui virevolte, m'a évidemment mis cette scène en horreur, pas seulement parce que je doute, aussi fort que l'on veuille fracasser un type, qu'on arrive à faire virevolter des bouts aussi facilement que ça, pas seulement parce que cette abjection est là pour donner du frisson aux pré-pubères avides de sensations fortes qui se pâment devant n'importe quelle scène pourvu qu'elle soit craspec, mais surtout parce que le réalisateur suit une mode à la con, parce qu'un type ne peut plus être violent sans être hyper violent, parce que cette mandibule fout en l'air une scène qui promettait d'être très belle. Cette scène résume en fait ce que je pense du film, une suite de bonnes scènes gâchées par une trop grande porosité aux tics cinématographiques du moment, des bonnes idées gâchées par un réalisateur qui se regarde le nombril et qui nous prend pour témoins, des ralentis en veux tu en voilà, une tonalité de couleur rétro, des références à la pelle sans une once d'humour, une histoire racontée platement, sans compassion ni amour pour ses personnages. 
Et c'est dommage, parce que je suis bon public, j'aime bien les histoires de mecs qui maravent tous les méchants pour sauver une fille, j'aime bien les types taciturnes qu'il ne faut pas trop énerver, j'aime bien les scènes d'action et les films de genre, mais là je suis pas rentré dedans, tout simplement parce que le réalisateur n'était pas rentré dedans non plus, trop occupé qu'il était à choisir les bonnes chansons pour ses scènes clés, trop occupé qu'il était à choisir le bon blouson pour son acteur, trop occupé qu'il était à choisir le bon filtre pour sa caméra et le bon bout de mandibule à faire sauter. Par contre, la psychologie, l'amour, le caractère de ses personnages, il a choisi de torcher ça par quelques sourires entendus, quelques phrases anecdotiques, sans nous ouvrir la moindre porte pour nous permettre d'accéder à leur humanité. Et c'est bien dommage.  

4 commentaires:

  1. Je suis toujours content de pouvoir te lire, d'autant que ce plaisir est devenu rare !
    Moi non plus je n'ai pas vu ce film à sa sortie, me le gardant pour plus tard, quand l'engouement serait oublié... Et maintenant que je t'ai lu, je crois que ça va attendre encore quelques années.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ça peut attendre. Le film se regarde, mais moi il m'a un peu saoulé quand même...

      Supprimer
  2. Je partage l'avis de Vlad sur la lecture :)
    Sur le film, c'est pas pareil. Je suis d'accord avec toi sur l'analyse du personnage mais je n'en tire pas les mêmes conclusions, et puis le film m'a emballé quand je l'ai découvert. Mais il y a le contexte. je l'ai vu à sa présentation à Cannes. je suis entré dans la sale sans savoir ce que c'était, ni de qui, ni avec qui et je suis resté très impressionné. Je suis d’ailleurs assez curieux de voir comment ça va se passer à la seconde vision.
    Pour en revenir au fond, je pense que ce type en a un grain et que c'est justement le moteur et l'intérêt du film. le scorpion dans le dos, je le vois à la Peckinpah : il a cette violence en lui et quoi qu'il fasse, son professionnalisme, sa romance avec la voisine, il reste un psychopathe et ça le détruit.
    Dans la scène de l'ascenseur, la partie romantique, avec le changement de lumière et cette applique qui ressemble à une meurtrière de château, c'est le côté conte de fée. Mais la violence qu'il déchaîne, par son outrance, nous met à distance et il y a le regard de la fille qui se demande ce que c'est que ce type. La porte qui se referme entre eux montre qu'il ne pourra pas surmonter cet instinct de mort. je peux me tromper mais je pense qu'il y a une certaine ironie vis à vis du héros et de ses aspirations à être un prince charmant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hello Vincent, ton point de vue se défend effectivement, mais franchement, j'ai quand même eu l'impression d'un film qui se regarde le nombril en permanence.

      Supprimer